• Quelques Réflexions sur la Traduction

  • Réflexions générales sur la Traduction

Cet article a pour but d’illustrer en quoi la pratique de la traduction d’une langue (l’original) à une autre (la langue cible) va au-delà des processus purement mécaniques comme c’est le cas dans la traduction informatique typique.

Les préliminaires : faire face à l’ambiguïté et à la redondance

La traduction de textes originaux est entravée lorsqu’ils contiennent des passages ambigus, passages dans lesquels plus d’une interprétation est possible. L’ambiguïté caractérise le langage, ce qui conduit, dans certains cas, à des réplqiues cherchant à la désambiguation de la part des auditeurs qui peuvent demander des éclaircissements de la manière suivante (en anglais) : did you say ‵funny-ha-ha′ or ‵funny-peculiar′? ‘est-ce que vous avez dit drôle dans le sens de ha-ha ! ou drôle dans le sens d’étrange ?’ (reflétant deux sens incompatibles du mot funny ‘drôle’) ; did you say ‵c-a-n′ or ‵c-a-n-t′ ? (reflétant une difficulté à désambiguïser, I can tell you ‘je peux vous le dire’ de I can’t tell you ‘je ne peux pas vous le dire’). De même en français, dans un discours prononcé à Madagascar à l’intention de l’empire colonial français, l’homme d’Etat célèbre Charles De Gaulle s’exprimait ainsi : Je m’adresse aux peuples français – au pluriel, anticipant ainsi le problème de l’ambiguïté causée par la non prononciation du pluriel –s en français.

L’ambiguïté ne se manifeste pas moins dans la langue écrite ; voici un exemple tiré d’un journal national britannique récent :

  • Les pays protestants ont connu un déclin plus important que les pays catholiques, probablement parce que ces pays sont plus habitués à vivre dans des familles élargies et multigénérationnelles.
Un autochtone canadien

Ce à quoi ces nations se réfèrent n’est pas clair ; il pourrait tout aussi bien s’agir de pays protestants que de pays catholiques ; seule une compréhension rigoureuse des différences générales entre les pays européens – acquis de façon autonome – peut amener le lecteur à comprendre que c’est cette dernière qui est visée.

La prise de conscience de cette ambiguïté dans l’utilisation de la troisième personne est accrue si l’on sait que dans certaines langues comme les langues algonquiennes d’Amérique du Nord, il existe une différenciation régulière entre la première et la deuxième troisième personne mentionnée, cette dernière catégorie inconnue des langues européennes étant appelée l’obviatif (ou ‵quatrième personne′). L’amérindianiste américain Conor McDonough Quinn est à juste titre enthousiaste quant à l’importance de ce trait puisqu’il nous informe des divergences dénotationnelles dans notre propre langue :

  • …. le système de ‵mise-en-vedette′ [est] le trait que je préfère absolument en ce qui concerne les langues algonquiennes. C’est une belle caractéristique de chaque langue de la famille, et c’est d’autant plus beau qu’il s’agit d’un système que l’on ne trouve clairement que dans la famille des langues algonquiennes et aucune autre. C’est un véritable trésor du patrimoine linguistique algonquin. …. cette différence particulière est précisément là où le caractère unique des langues algonquiennes entre en jeu. En fait, je n’ai jamais remarqué cela au sujet de l’anglais jusqu’à ce que les langues algonquiennes me le fassent voir.

L’acte de traduire fait ressortir des ambiguïtés dans un texte original, des ambiguïtés qu’il faut aplanir. En plus de la traduction, un traducteur chevronné clarifie les ambiguïtés qui, dans certains cas, peuvent être si complexes qu’ils devront être vérifiés auprès du client qui a commandé la traduction.

Bien qu’il s’agisse d’une question moins grave que l’ambiguïté, les traducteurs sont confrontés au problème de la redondance ou de la répétition inutile d’information dans un texte original. Le traducteur pourra être tenté d’ajuster cette redondance en ne gardant qu’une des phrases et en supprimant l’autre dans sa traduction. Cependant, une redondance apparente peut parfois masquer le fait que la ‵redondance′ n’est pas toujours redondante mais constitue une stratégie rhétorique ou légaliste voulue dans le langage, ce que Friedrich Nietzsche a exprimé de la manière suivante :

Il est bon d’exprimer une matière de deux façons simultanément afin de lui donner à la fois un pied droit et un pied gauche. La vérité peut se tenir sur une jambe, c’est sûr ; mais avec deux, elle peut marcher et se déplacer.

Puisque la redondance peut représenter, soit une négligence, soit un résultat voulu, il incombe aussi bien au traducteur consciencieux de vérifier les points particuliers de redondance avec les clients.

A vrai dire, chaque fois qu’un texte original n’a pas encore été publié, une bonne traduction peut aider à son amélioration en signalant les ambiguïtés et les redondances qu’il contient et qui naturellement peuvent être plus évidentes pour un spécialiste de la traduction que pour l’auteur. Dans les contextes d’édition où la traduction n’est pas nécessaire, l’ambiguïté et la redondance seraient abordées par la relecture et si la traduction et la relecture ne constituent pas catégoriquement la même tâche, inévitablement, on ne peut pas éviter un certain chevauchement entre ces différentes procédures.

Les langues représentent plus qu’un assemblage d’étiquettes interchangeables

Une vision non réfléchie de la traduction pour une personne qui ne connaît que sa propre langue est que l’on traduit simplement le mot dans le mot correspondant de la langue cible. Toutefois, les différentes langues ne disposent pas d’un inventaire identique d’étiquettes de signification équivalente. Jean Malaurie, l’explorateur polaire français, par exemple, a noté que la traduction biblique de donnez-nous notre pain quotidien en Inuit avait été ajustée pour donner donnez-nous notre phoque quotidien puisque ‵pain′ ne signifiait rien à l’origine pour ces peuples polaires dont l’aliment de base était la viande de phoque et non le pain.

L’inadéquation des catégories entre les langues est plus évidente dans leurs aspects grammaticaux ; ici, les catégories telles que le temps, le mode et l’aspect présentent des inadéquations qui ne peuvent qu’être négligées ou adoptées dans la traduction vers une autre langue, selon que l’on veut transmettre l’exotisme ou non. Des exemples de ceci, avec référence à l’anglais, sont :

  • La non-existence d’un aspect habituel dans de nombreuses langues conduit leurs locuteurs à dire en anglais que I am thinking you are very intelligent ‘Je suis en train de penser que vous êtes très intelligent’ au lieu de I think you’re very intelligent ‘je pense que vous êtes très intelligent’. Ce trait disparaît au fur et à mesure que l’anglais devient une langue plus familière aux autres peuples, mais elle se trouvait bien chez les populations gaéliques et galloises du Royaume-Uni et s’est perpétuée plus longtemps dans l’anglais du sous-continent indien;
  • La non-existence de marqueurs définis tels que l’article définitif dans de nombreuses langues conduit leurs locuteurs à dire Homme qui a vu accident est malade au lieu d’Un homme qui a vu l’accident est malade ou L’homme qui a vu l’accident est malade(ambiguïté). Ce trait caractérise le français des locuteurs de langues slaves.

En règle générale, la grammaire de la langue d’origine doit être adaptée de manière à devenir acceptable dans la langue cible. Mais si l’on voudrait représenter un Indien, par exemple, on pourrait les faire dire Je suis en train de penser que vous êtes très intelligent, et de même pour représenter un Russe, on pourrait les faire dire Homme qui a vu accident est malade.

Une compréhension simpliste de ‵correct′ et ‵incorrect′

Les exigences d’une traduction peuvent varier en fonction des objectifs que le client aura pour le texte traduit. La première chose à comprendre est que, s’il y a de nombreuses caractéristiques qui peuvent, sans équivoque, être jugées absolument correctes/incorrectes dans une langue particulière, il y a beaucoup d’autres caractéristiques d’une langue particulière qui ne montrent qu’un degré relatif d’exactitude/inexactitude. Cette relativité de l’exactitude en langage dépend de l’usage contextuel, par exemple en anglais, l’utilisation de do not dans la conversation frapperait les gens comme étant austère, alors que l’utilisation de don’t dans un document formel pourrait frapper les gens comme étant inapproprié et donc diminuant l’autorité de ce qui autrement constituerait un document mûrement réfléchi. Tous les anglophones de langue maternelle sont conscients de cette différence, ce qui se traduit, grosso modo, par la différence en français entre les deux marqueurs de négation ne… pas contre simplement … pas.

L’usage qui a été exemplifié est celui que l’on trouve dans l’anglais et le français parlés en général, mais il y a beaucoup d’autres caractéristiques de la langue parlée qui ne sont pas aussi généralisées. Voici un exemple : au sein de la toute dernière génération d’anglophones britanniques, une construction avec stood/sat a remplacée, de plus en plus, une construction plus exacte avec standing/sitting. Ce nouvel usage est un régionalisme provenant du nord de l’Angleterre qui – atypique pour un usage ayant cette origine géographique – est de plus en plus employé dans tous les dialectes anglais britanniques (certains l’ont associé à l’anglais des commentateurs de cricket, ce qui relève du fait que le comté du Yorkshire – un comté du nord du pays – est l’équipe de cricket anglaise qui a le plus de succès). Cependant, dans un anglais techniquement exact, quand quelqu’un est placé debout contre un mur (stood against a wall), par opposition à simplement se tenir contre un mur (standing against a wall), cela signifie que l’action a été perpétuée par autrui, et il en va de même pour quelqu’un placé assis sur un banc (sat on a bench), ce qui ne traduit pas une action émanant du sujet.

L’emploi croissant du participe passé stood/sat pour leurs équivalents infinitifs constitue une faiblesse sémantique à laquelle il faut résister dans un anglais techniquement correct afin d’éviter toute ambiguïté. Par contre, si l’on veut transmettre l’usage régional ou familier parmi la population britannique d’aujourd’hui afin de transmettre la ‵couleur locale′ ou simplement rapporter mot à mot des déclarations données, alors un tel emploi des participes passés pour les infinitifs est exact en ce qui concerne l’usage. La notion d’‵exactitude′ donc est un paramètre qui dépend du facteur auquel la priorité est accordée, qu’elle soit techniquement correcte (selon les dictionnaires courants) ou contextuellement correcte (selon l’usage). L’utilisation au sein de la population générale, ou d’une partie de celle-ci, même si elle contredit l’usage techniquement exact, est aussi manifestement correcte si elle représente une forme de discours voulue par l’auteur d’un texte.

Plus que la population en général, un traducteur sait que les notions ‵correcte′ et ‵incorrecte′ sont des notions très simplistes face à une réalité bien plus complexe et que le langage exige une marge de manœuvre pour décider ce qui est exact ou inexact selon la situation.

Certes, un simple morceau de prose non technique sera traduit en référence aux illustres autorités de référence que sont les Oxford English Dictionaries et Le Petit Robert / Larousse[1]. Mais les variétés de langages englobés sous les titres ‵anglais′ et ‵français′ exigent une compréhension plus large et plus profonde de ces langues que n’offrent seuls ces dictionnaires codifiés. Dans une large mesure, le traducteur doit avoir ‵vécu′ par le biais de ces langues pour comprendre toutes les nuances possibles dans ces langues.

Traduire le langage parlé authentique et l’argot

L’expression largement citée selon laquelle « Les États-Unis et la Grande-Bretagne sont deux pays séparés par une langue commune » laisse entendre qu’il existe des différences non seulement entre différentes langues, mais aussi au sein d’une même communauté de langue, entre diverses régions, entre diverses localités et jusqu’entre individus au niveau inter-locuteur. De telles différences existent même au niveau intra-locuteur qui fait que l’individu parlera d’une manière différente selon l’auditoire visé.

En raison de la richesse des variations inhérentes à tout discours, la traduction d’un discours conversationnel quotidien dans d’autres langues est encore plus difficile que la traduction d’une prose écrite non technique. En effet, quelle que soit la norme écrite établie pour n’importe quelle langue, la langue familière quotidienne (l’Umgangssprache le ‘langage familier’ des Allemands) ne cesse de constituer une réalité incontournable et fondamentale dans la manifestation de la langue.

Exemple de traduction d’argot du français en anglais (Solé ‘Une vie comme ça’ 1973)

Un exotisme de souche bien connu de la langue, en anglais comme en français, est le registre appelé ‵argot′. En s’en tenant à l’explication la plus élémentaire, l’argot consiste en des mots qui dupliquent les fonctions d’équivalents littéraires plus reconnus, ainsi, dans la conversation quotidienne de la plupart des francophones, les mots suivants bouquin, bagnole, mec, nana, bouffer, bosser, se casser remplacent livre, voiture, gars, fille (attrayante), manger, travailler, s’en aller. L’anglais n’a pas d’équivalents argotiques pour chacun de ces mots, bien qu’on puisse traduire l’équivalent argotique de mec comme fella, bloke, guy ; nana comme doll, chick ; et se casser comme to split, to be off. Selon le contexte, le mot voiture peut être remplacé en français par bagnole mais jalopy, banger, les équivalents anglais de bagnole, se reportent à des voitures jugées particulièrement vieilles ou décrépies tandis que si wheels est plus neutre, il est, à notre avis, moins couramment utilisé que bagnole le serait en français.

L’utilisation de l’argot exprime souvent une connotation négative, donc, dans une interprétation étroite, il peut être associé à la criminalité, à la pauvreté, au manque d’éducation mais, dans une interprétation plus large – et plus équilibrée en fait -, il est associé à la convivialité et à un registre informel généralisé de la langue. En effet, une partie de l’argot est dérivée de ce que l’on peut appeler plus étroitement le jargon criminel (argot ayant ce sens en anglais), c’est-à-dire un registre de langage d’initiés conçu pour ne pas être compris par un tiers. Les principaux exemples de jargons criminels sont le fameux verlan parisien et le tout aussi fameux argot rimé Cockney de Londres, autrefois peut-être associé à la petite ou grande criminalité, mais aussitôt adopté à un degré moindre par l’ensemble de la population de ces villes et du pays dans son ensemble.

Traduire le langage exotique et rétro

Le plus souvent, la traduction ne vise pas seulement à transmettre de l’information, mais aussi à transmettre des connotations particulières contenues dans un texte. Ceci est évident dans la catégorie de littérature qualifiée comme étant de ‵couleur locale′ ou ‵régionaliste′. Des entreprises d’écriture identitaire, surtout si elles tentent de suggérer une langue complètement différente en arrière-plan, doivent toujours garder à l’esprit les limites de la compréhension des lecteurs unilingues. Un exemple bien connu de la littérature de ‵couleur locale′ en anglais est celui associé au mouvement littéraire irlando-anglais du XIXe siècle qui atteignit une nouvelle intensité dans l’œuvre de J. M. Synge (1871-1907). Synge écrivait l’anglais de telle manière qu’il semblait être du gaélique irlandais, capturant en partie la syntaxe et les rythmes de cette langue par le biais de l’anglais à une époque où la population de l’ouest de l’Irlande n’avait que récemment acquis l’anglais. L’intégration ultérieure de l’anglais irlandais en tant que style reconnu dans la littérature anglaise a probablement beaucoup à voir avec la large infusion de personnes d’origine irlandaise et gaélique dans les sociétés anglophones du monde anglo-saxon à la même époque. Son succès est un exploit que très peu d’autres mouvements littéraires de ‵couleur locale′ anglais seront susceptibles de reproduire.

Paysans anglais et français typés

Il y a, bien sûr, beaucoup de versions d’anglais plus exotiques que l’anglais irlandais. Des exemples de ‵couleurs locales′ stéréotypés sont le péquenaud de scène anglais (yokel, mummerset) et les registres pastiches de paysans français qui dépeignent les populations rurales de façon peu flatteuse et le plus souvent à des fins comiques. En voici des exemples de ces registres en anglais et en français :

  • I tell ‘ee me ‘ansum, us folk round ‘ere do be wantin’ to knaw where beest ‘ee goin’
  • Dam’ oui, ce tantôt l’gâs Jean s’foutait de ma goule, j’étions traité de nigaud, c’est-y point bin beau tout çâ?

Un autre registre stéréotypé est le langage peau rouge, qui est de l’anglais simplifié en anglais avec un vocabulaire et des expressions marquées :

  • How! Me wantum you palefaces givum me Big Chief heap plenty firewater.
Exemple de parler peau rouge dans la bande dessinée Superman.

La version française la plus développée d’un tel registre de langue exotique était le ‵petit nègre′, associé au français des Africains colonisés (dont l’assise d’origine – aussi précairement qu’elle était liée à la réalité – était le français simplifié parlé par les troupes auxiliaires autochtones de ce continent vers le début du XXe siècle au temps de l’apogée de la colonisation européenne.

  • Toi écouter moi, moi y’en a êt’ faché. Ça pas bon, li pas d’oit fai’ ça. Moi y’en a vouloi’ sauver toi.

Si l’on veut transmettre le langage peau rouge en français (en dehors de l’utilisation de mots culturellement marqués tels que manitou, mocassin, sachem, etc.), on peut reproduire certaines des caractéristiques du petit nègre (mais pas les mêmes marqueurs de prononciation ni l’utilisation de y’en a avant l’infinitif) pour donner l’adaptation suivante :

  • Ugh! Toi écouter Grand Sachem. Moi vouloir aider toi. Moi être faché depuis beaucoup de lunes avec visages pâles avec langues fourchues. Eux pas bon.

Il convient d’ajouter que le langage peau rouge et le petit nègre sont devenus si stéréotypés dans leurs langues respectives qu’ils ont surtout servi à dépeindre des images peu flatteuses d’Amérindiens et d’Africains, ce qui a bien servi – malheureusement – à propager des vues racistes d’autres peuples. Nonobstant ce qu’il représente, ces registres se sont implantés dans le répertoire linguistique des populations anglophones et francophones en général, comme l’illustre Lattuga, né en 1940, pour le français qui explique que :

ma sœur, mon frère et leurs copains et copines avaient pris l’habitude (pénible) de parler entre eux « petit nègre » dans le genre :- moi y’en a être bien fatiguée, moi y’en a aller me mettre sous la couette ! – et on avait pris tellement l’habitude qu’on ne faisait plus attention de faire attention quand on causait avec des nons initiés. / Un jour ma sœur, s’adressant à quelqu’un en tenue de soirée, lui serra la main avec un angélique – moi y’en a bien contente de voir toi !

Hormis les stéréotypes néfastes auxquels il peut être associé, l’intérêt d’ajouter de la ‵couleur locale′ dans la plupart des textes est de transmettre l’exotisme au lecteur général tout en le gardant largement compréhensible pour le lecteur ordinaire.

Que faire lorsqu’il s’agit de traduire une œuvre d’une langue contenant de la ‵couleur locale′ à une autre ? Lorsque l’on traduit des œuvres anglo-irlandaises vers le français, que peut-on faire pour donner le ton donné par ce registre de la langue en anglais ? Est-ce qu’on homogénéise la traduction pour donner, au moins, le sens littéral ou bien est-ce qu’on transmet la nature hétérogène du texte original dans la traduction en essayant de trouver des équivalents connotatifs pour transmettre le sentiment de l’original ? La réponse est variable, en fonction de la compréhension de l’ensemble des facteurs qui déterminent la propension de la langue cible à accepter les connotations présentes dans une autre langue.

On peut paraphraser un dicton perspicace : « le passé est un pays étranger, ils disent autrement là-bas ». Pour la plupart des besoins littéraires, exprimer la période revient à peu près à la même chose que d’exprimer l’exotisme et, bien sûr, la traduction d’un exotisme voulu dans une langue cible exige une grande familiarité avec les deux cultures.

Élevée dans les années 1940, ma mère s’est rendu compte qu’à la fin des années 1960, son utilisation du mot auto au lieu de voiture devenait démodée lorsqu’un jeune neveu a demandé à sa mère Pourquoi tante Marie dit ‘auto’ pour ‘voiture’ ? que nous pouvons traduire comme Why does auntie Marie say ‘automobile’ for ‘car’? (Notez que l’équivalence historique d’auto en français et d’automobile en anglais n’est que relative dans leur utilisation, néanmoins ces mots partagent la caractéristique d’être des équivalents démodés de termes modernes habituels).

Un tel exemple d’écart en temps réel dans l’usage linguistique nous rappelle que la langue ne diffère pas seulement en fonction d’un lieu particulier ou d’idiosyncrasies individuelles particulières, mais qu’elle est aussi fermement ancrée dans un moment particulier. Un traducteur chevronné devrait être en mesure de transmettre l’ambiance authentique d’une version dépassée de la langue dans la langue cible, même si les équivalences correspondantes pour les mêmes mots n’existent pas. En l’absence d’équivalences mécaniques entre les langues, la règle veut que le traducteur transmette le caractère démodé de l’original en présentant d’autres mots ou d’autres expressions dans le texte cible qui ne se trouvent pas, en fait, démodés dans le texte original.

Une scène médiévale

A partir de détails bien documentés, quoique minuscules, le traducteur doit pouvoir représenter les caractéristiques de n’importe quel type de discours remontant de l’époque contemporaine jusqu’au milieu du XIXe siècle au moins, avant lequel les preuves sur les registres familiers du langage se faisaient beaucoup plus rares. Le traducteur doit aussi être capable de transmettre des registres pastiches de langues, déjà illustrées par les registres exotiques comme le ‘petit nègre’. Voici un exemple de pastiche d’anglais médiéval traduit en pastiche de français médiéval:

  • I dyd heare that many brave knightes went forthe earlie in the morn to relishe the drynkinge of meade at ye inne and make merrye with fayre maydens.
  •  J’ay ouï dire que mayntes chevaliers preux s’en irent ensambles de bon matin prenant playsir à une beuverie d’idromel à l’auberge et se resjoïssant avec beles pucelles.

Les traducteurs professionnels travaillant sur la documentation officielle travaillent sur une gamme relativement étroite de registres linguistiques. Il est peut-être maintenant un peu plus clair que tous les traducteurs ne peuvent pas traduire de façon homogène n’importe quel registre particulier d’une langue d’origine à une langue cible et vice-versa; et c’est là que Laverne voit sa spécialisation.

En guise de conclusion

Conscients de la complexité de la traduction, les clients doivent garder à l’esprit leurs besoins particuliers concernant un texte qu’ils veulent traduits dans une autre langue. Nous espérons qu’une lecture rapide de cet article leur rappellera de réfléchir et de communiquer ensuite au traducteur choisit les résultats qu’ils voudraient obtenir (ou éviter) dans la traduction.

[1]     Pour l’anglais, il existe la norme concurrente de l’anglais américain. La position par défaut de Laverne est de traduire en anglais britannique, mais si les clients le souhaitent, ils peuvent demander une traduction en anglais américain, par exemple, advisor, color, center, recognize, organization,esthetic, etc. plutôt que les formes anglaises reconnues, colour, adviser, centre, recognise, organisation, aesthetic etc.

AFFICHÉ 2018. Yves Onfroy ©